Tout a commencé mercredi 1er octobre à Villeurbanne. Ce
jour là, 296 personnes selon la préfecture sont expulsées d’un ancien
centre d’hébergement d’urgence ouvert dans le cadre du plan froid
2013-2014. Parmi elles, des personnes de toute nationalités : roumaine,
serbe, bulgare, géorgienne, française, ainsi que de très nombreux
enfants. Une fois de plus, l’expulsion est réalisée au petit matin, sans
aucune proposition d’hébergement pour les personnes les plus fragiles.
Un homme de 65 ans, Français, titulaire d’une carte d’invalidité est
jeté à la rue sans autre forme de procès. De même plusieurs femmes
enceintes et des enfants en très bas âge parmi lesquels une petite fille
de 1 mois et demi.
Dans la soirée, les familles vont essayer de se reposer dans un
square voisin. Elles sont rapidement délogées par la police. Quelques
jours plus tard, on retrouve une partie des familles et leurs enfants du
côté de la gare de Villeurbanne, à même le sol, sans autre protection
que le ciel étoilé lorsque la nuit est tombée. L’autre partie des
familles se réfugie du côté de Gerland.
Quelques familles dorment par terre, sous le porche d’une entrée, en
haut d’un escalier. D’autres dorment dans des voitures, entassés, les
uns sur les autres. Le samedi, des hommes partent pour essayer de
trouver un endroit plus favorable. Dans la soirée, c’est décidé, ils
iront investir un ancien site industriel abandonné. Le Grand Lyon
possède des centaines de sites et de terrain qu’il rachète à bas prix et
revend une fortune à des promoteurs. Vers 22 heures, tout le monde part
s’installer quelques rue plus loin, dans le bâtiment désaffecté. Comme
on pouvait s’y attendre, probablement suivis par des civils qui ont reçu
pour consigne de ne surtout pas les laisser s’installer durablement
autre part que sur un bout de trottoir, ils reçoivent dès le lendemain
la visite de nombreux policiers.
La confrontation est dure. Les familles refusent de sortir, n’ayant
nulle part où aller. Les policiers ont reçu des consignes, ils n’y vont
pas par quatre chemins. Les affaires sont jetées, des femmes sont
bousculées. L’une d’entre elle qui reçoit un coup fait un malaise et les
secours sont appelés. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire,
tout le monde est rejeté à la rue et la porte du bâtiment à nouveau
condamnée. Les familles retournent dormir sur le trottoir ou dans les
voitures.
Les autres familles qui étaient restées du côté de Villeurbanne
décident de se rendre à Saint-Priest sur un terrain situé dans une zone
industrielle. Samedi matin, personne ne les remarque. En revanche,
dimanche, des équipages de police, accompagnés de représentants de la
mairie prennent note de leur occupation des lieux depuis plus de 48
heures. Le terrain est grand. Pour l’instant il n’y a qu’une dizaine de
familles, mais les autorités savent que ce bidonville pourrait
s’agrandir. Alors elles vont commencer leur harcèlement. Tous les jours,
des équipages de police municipale et de police nationale passent pour
demander aux familles de quitter les lieux.
Mardi 7 octobre, dans l’après-midi, 2 policiers s’arrêtent en moto.
Ils viennent voir les familles et leur ordonnent une fois de plus de
partir. Mais cette fois, les termes employés sont très agressifs. Selon
plusieurs témoins, les policiers auraient menacé de séparer les parents
des enfants et de les gazer. Ils auraient même ajouté qu’ils mettraient
du gaz lacrymogène dans les tentes s’ils refusaient de partir.
Mercredi 8 octobre, alors que les familles commencent à s’installer
sur un côté de la parcelle qui n’est pas inondé, la police nationale, la
police municipale et des équipages de policiers en civil arrivent avec
un bulldozer et un camion. Toutes les habitations de fortune sont
détruites, y compris les tentes. Cette intervention n’a aucun fondement
juridique. Au-delà de 48 heures d’occupation, une procédure juridique
est obligatoire pour expulser les occupants d’un terrain. D’après un
journaliste témoin sur place, c’est encore le Grand Lyon qui serait
intervenu. La question qui se pose est de savoir si c’est à la demande
de la police que les habitations ont été détruites ou si c’est le Grand
Lyon, probablement propriétaire du terrain qui a demandé l’assistance de
la police pour se faire justice lui-même, en dehors de tout cadre
légal. Dans les 2 cas, la police nationale, supposée faire respecter la
loi, a prêté son concours à une opération d’expulsion totalement
illégale.
Les familles sont rejetées sur une partie de la parcelle où des
flaques d’eau se sont formées. Un officier de police explique qu’il veut
les voir partir « pour leur bien », parce qu’il y a des enfants qui ne
peuvent pas vivre les pieds dans l’eau. Dans le même temps, il les
expulse de la partie du terrain où ils avaient les pieds au sec. Allez
comprendre. Elle est magnifique la compassion policière quand il s’agit
de gérer la misère humaine.
Vendredi 10 octobre, Lyon et sa banlieue sont noyés sous des trombes
d’eau. Les familles de Saint-Priest sont retournées à l’âge de la
préhistoire. Après la destruction illégale de leurs cabanes, les
familles ont construit des sortes de tentes. Il faut le voir pour y
croire. Les abris sont constitués de morceaux de bois inclinés attachés
par de la ficelle. Par dessus, les plus chanceux ont pu mettre des
bâches en plastique. Pour d’autres, une simple couverture dont l’eau se
moque sert de toit. Les parents et les enfants sont à même le sol, avec
pour quelques-uns des couvertures qui constituent un isolant bien
dérisoire. Tout autour, on patauge dans de la boue. Afin de ne pas
détruire leurs chaussures, les adultes préfère marcher pieds nus et se
rincer dans les flaques d’eau glacée avant de rentrer sous leur abri.
Tous les enfants toussent mais ils gardent ce sourire que seuls les
enfants savent encore porter dans ce genre de circonstances. Le peu de
nourriture que les parents ont pu récupérer grâce à des dons est gorgé
d’eau. Un réchaud de fortune qui sert autant à se réchauffer qu’à cuire
quelques aliments est improvisé pour que les enfants mangent quelque
chose de chaud. Il s’agit d’un chariot de transport d’une grande marque
suédoise réputée pour son mobilier bon marché mais encore beaucoup trop
cher pour ces gens qui ne possèdent rien. Le chariot est mis en travers.
Il recouvre quelques flammes qui chauffent difficilement une casserole
avec de la soupe. Le bois mouillé brûle très mal.
Quelques jours plus tard, une partie des famille trouve un bâtiment
pour se mettre au sec. Le harcèlement policier reprend, on leur demande
de quitter les lieux sans décision du tribunal, ils refusent. Le
propriétaire engage une procédure d’expulsion. Dans quelques semaines ou
quelques mois, tout le monde se retrouvera à nouveau à la rue.
Avant de procéder à une expulsion, le préfet est censé mettre en
place un diagnostic permettant d’éviter ce genre de situation. En tout
cas, c’est ce que stipule la circulaire du 26 août 2012 signée par 7
ministres dont Valls. Dans le Rhône, la circulaire n’a jamais été
appliquée. Personne ne sait où le préfet a mis les fonds destinés à ces
diagnostics, plusieurs centaines de milliers d’euros.
La France a été condamné à de multiples reprises par les instances
européennes et internationales pour sa politique d’expulsion qui viole
tous les principes humanitaires. Quand il était candidat, la main sur le
cœur, le candidat Hollande promettait que, contrairement à son
prédécesseur, il n’y aurait plus d’expulsion sans propositions
d’hébergement. Fin 2013, Manuel Valls, monsieur 5% aux primaires
socialistes, avait expulsé de leurs lieux de vie 2 fois plus de familles
et d’enfants que son prédécesseur.
Hier, c’était la journée mondiale du refus de la misère. On aime
bien, en France, les journées symboliques qui ne servent pas à grand
chose sinon donner bonne conscience aux privilégiés qui nous gouvernent
et nous donnent des leçons. Pendant ce temps, on laisser vivre à la rue,
comme des chiens des hommes, des femmes et surtout des enfants. Ce
matin, une petite fille de 60 jours dont 10 dehors sous la pluie vient
de passer une nuit de plus sous une tente de fortune fabriquée avec des
morceaux de bois. Elle et ses parents portent les mêmes vêtements depuis
15 jours. Ils n’ont rien mangé ou presque depuis une semaine.
En leur refusant l’accès aux droits élémentaires, en multipliant les
expulsions, en détruisant leurs habitats, le gouvernement de Manuel
Valls renvoie toute une catégorie de la population à l’âge de pierre.
Cela permet ensuite d’ânonner à l’envie que « ces populations » ont des
modes de vie « en confrontation » et qu’ils ne souhaitent pas
« s’intégrer ».
A tous les niveaux : Etat, régions, communes, la France, « patrie des
droits de l’homme » organise consciencieusement l’exclusion d’une
catégorie de citoyens en raison de son appartenance ethnique.
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