samedi 17 mars 2018

L'Angleterre décide d'empoisonner les élections russes et la Coupe du Monde


Sergueï Skripal est un ancien colonel de l'armée russe jugé et condamné à 13 ans de prison pour haute trahison par la Russie pour avoir vendu des renseignements militaires à l'Angleterre. En 2010, il bénéficie d'un échange de prisonniers qui lui permet de s'installer à Salisbury, à 140 kms au sud-ouest de Londres. Le dimanche 4 mars, après avoir déjeuné avec sa fille Ioulia venue de Russie lui rendre visite, il sont tous deux pris de convulsions et s'effondrent sur un banc, inconscients. Ils sont aujourd'hui hospitalisés dans un "état critique".

Tout s'emballe dans les jours qui suivent. Thérésa May, premier ministre britannique affirme devant les parlementaires qu'il est "très probable que la Russie soit responsable" puis quelques jours plus tard elle insiste: " Il n'existe d'autre conclusion que celle qui désigne l'état russe comme coupable de la tentative de meurtre de monsieur Skripal et de sa fille..."
Le 14 mars, alors que le Conseil de Sécurité se réunit en urgence à la demande des Britanniques, Nikki Haley, la représentante des Etats-Unis prend la parole et affirme: " Les Etats-Unis pensent que la Russie est responsable de l'attaque sur ces deux personnes sur le territoire du Royaume-Uni en utilisant un agent neurotoxique de qualité militaire."
Il ne manque que la fiole et c'est un remake parfait de Colin Powel en 2003 accusant l'Irak de posséder des armes de destruction massive que personne ne retrouvera jamais.
La France et son jupitérien président Macron leur emboîte le pas le 16 mars lors de sa conférence de presse avec la chancelière allemande Angela Merkel: "J'aimerais redire un mot de solidarité à l'égard de la Grande-Bretagne qui a subi une attaque sur son sol, redire ici que nous condamnons cette ingérence russe et ce qui s'est passé puisque tout porte à croire que c'est la Russie qui a conduit cette tentative d'assassinat."


La présomption d'innocence, vous connaissez ?

La présomption d'innocence est un élément fondateur des démocraties qui veut que tout homme est présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas été établie après un procès équitable.
Elle est inscrite dans l'article 11 de la déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU: "Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées." (1)
Elle figure également dans la convention européenne des droits de l'homme à l'article 6: "Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie". (2)
En France, outre la mention de la présomption d'innocence dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le code de procédure pénal prévoit que "les atteintes à la présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi" (3). En 2005, le Conseil d'Etat a rappelé que la présomption d'innocence est au nombre des libertés fondamentales. (4)

Visiblement, les principes de l'ONU et de la Convention Européenne des Droits de l'Homme s'appliquent uniquement quand cela les arrange.

Mais pour mieux comprendre pourquoi l'Angleterre est si prompte à accuser sans aucune autre preuve qu'un composant chimique qu'elle prétend avoir découvert sur place, mais qu'elle refuse de transmettre aux Russes pour qu'ils mènent leur propre enquête, il faut replacer cette affaire dans le contexte actuel: Brexit, élections russes et Coupe du Monde.

Depuis le Brexit en juin 2016, l'Angleterre traverse l'une des plus graves crises de son histoire contemporaine. Depuis bientôt deux ans, les négociations avec l'Union Européenne sont au point mort et personne n'est capable de mesurer réellement quelles seront les conséquences pour l'Angleterre, mais également pour l'Europe.
Alors que le Brexit doit entrer en vigueur en mars 2019, Londres réclame maintenant une période de transition qui s'étalerait jusqu'en mars 2021...
Ce qui est acté en revanche, c'est que bon nombre de multinationales installées à Londres sont en train de déménager. Le dernier départ en date, celui d'Unilever constitue un revers cuisant pour Thérésa May qui s'efforce d'expliquer avec de plus en plus de difficultés que le Royaume-Uni reste un pays où les entreprises étrangères investissent malgré le Brexit.
Sur le plan intérieur, Thérésa May a également été considérablement affaiblie par son mauvais résultat aux élections législatives de juin 2017, pourtant censées lui donner une majorité forte afin de négocier le Brexit, ainsi que par la démission de deux de ses ministres en novembre 2017 dont le ministre de la défense suite à des faits de harcèlement sexuel. (5)

Dimanche 18 mars se dérouleront en Russie les élections présidentielles qui devraient voir sans surprise une victoire de Vladimir Poutine pour un 4ème mandat, les derniers sondages le donnant vainqueur avec environ 70% des intentions de vote.
Les ressorts de la popularité de Vladimir Poutine sont nombreux, même si la situation économique est difficile en Russie, surtout depuis les sanctions occidentales et la chute du Rouble. Détesté à l'étranger par les gouvernements qui ne voient en lui qu'un chef de guerre contrecarrant leurs projets, notamment en Syrie, Poutine est plébiscité dans son pays car les Russes voient en lui un véritable chef d'Etat qui aime son pays et défend d'abord les intérêts de sa nation. Russia First...

Enfin, il y a la coupe du monde de football qui se déroulera du 14 juin au 15 juillet 2018 en Russie. Pendant un mois, pratiquement tous les jours, le monde entier aura les yeux tournés vers la Russie avec la ferveur que seule une Coupe du Monde de football peut déclencher.
Aucune autre manifestation sportive ne suscite autant de passion et surtout de couverture médiatique. Si la Russie souhaite donner une autre image que celle qu'on lui donne habituellement, c'est le moment ou jamais. Les Russes le savent, les Anglais aussi visiblement, eux qui viennent d'annoncer qu'ils ne participeront pas "normalement" à la Coupe du Monde en brandissant la punition la plus sévère qu'on pouvait envisager: aucun membre de la famille royale ne se rendra en Russie dans le cadre de la compétition.
Quel rapport entre le football et un espion ? Aucun. Il s'agit juste de salir la Russie, mais point trop n'en faut. Les Anglais auraient pu boycotter totalement la compétition et ne pas y envoyer leur équipe nationale, mais il y a fort à parier que la popularité déjà basse de Thérésa May se serait alors effondrée, notamment dans les couches populaires. On ne va pas être plus royaliste que la reine.

Pourquoi maintenant ?

Mais la chose la plus troublante et la plus incohérente dans cette histoire, c'est le timing de cette opération. Skripal vivait en Angleterre depuis 8 ans. Il n'avait apparemment plus aucune activité d'espionnage et ne possédait plus aucun renseignement stratégique sur la Russie qu'il n'avait pas déjà monnayé. Quel intérêt les Russes avaient-ils donc à l'éliminer ? Et surtout pourquoi l'éliminer quelques jours avant les élections présidentielles russes, sachant les répercussions qu'auraient un tel évènement.

Dans l'hypothèse où ils auraient voulu l'assassiner, qu'est ce qui empêchait les Russes d'attendre 15 jours de plus pour éliminer Skripal alors qu'ils avaient déjà attendu 8 ans ? Cette question, personne ne se la posera parce que le coupable a déjà été désigné et que le seul et unique objectif est maintenant d'étayer cette affirmation par tous les moyens.   

Il ne s'agit plus de mener une enquête objective et indépendante, il s'agit juste de redorer le blason de l'Angleterre bien terni par le Brexit, de jeter le trouble dans l'esprit des Russes juste avant leur élection présidentielle et de tenter de saborder une coupe du monde, dont l'organisation a été confiée à la Russie, rappelons-le, au détriment de... l'Angleterre.

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