C’est un tunnel obscur et long de quelques mètres où des
enfants noirs de crasse se promènent pieds nus malgré le froid. Les cabanes
sont faites de bois et de carton, abris dérisoires qui ne protègent ni du froid
ni de l’eau s’infiltrant par le sol les jours de pluie. Dans un coin, quelques
morceaux de poulet cuisent sur un réchaud de fortune autour duquel les enfants
tentent de trouver un peu de chaleur. Le vacarme des milliers de véhicules qui
empruntent chaque jour le périphérique lyonnais est assourdissant.
Une expulsion illégale
Jeudi 21 novembre 2013, plusieurs policiers du commissariat
de Villeurbanne accompagnés par un traducteur roumain se présentent sur place
et ordonnent aux familles de quitter les lieux. « Vous ne pouvez pas
rester ici, vous devez partir » ordonnent-ils. Mensonges.
Le Conseil Général, propriétaire des lieux a assigné les
familles au tribunal le 18 novembre. La décision est mise en délibéré jusqu’au
9 décembre. D’un point de vue juridique, rien ne s’oppose donc à ce que les
familles qui occupent cet endroit s’y maintiennent au moins jusqu’au 9
décembre. Ensuite, c’est le juge qui décide et donne des délais, ou pas.
La police est donc totalement hors la loi en procédant à cette
expulsion. Comme très souvent lorsqu’il s’agit des Roms.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Quelques heures auparavant, les mêmes policiers accompagnés
du même traducteur se présentent dans un autre squat situé à une quinzaine de
minutes à pied.
Ils pénètrent dans la cour de l’usine occupée depuis le mois
de juillet 2013 par des familles Roms et réunissent tout le monde.
Ici encore, les policiers violent la loi en pénétrant dans
l’enceinte d’un bâtiment privé, sans aucune autorisation, ni du propriétaire,
ni des occupants et en dehors de tout cadre légal.
Faisant semblant de se transformer en assistante sociale, le
responsable des équipages de police va donner une leçon de morale stupéfiante
aux familles.
Pendant de longues minutes, il leur explique qu’il y a un
peu plus loin une trentaine de leurs compatriotes qui vivent dans le froid. Il
leur explique que eux, dans leur beau bâtiment devraient avoir honte de laisser
des enfants pieds nus dehors et que finalement, lui, dans sa grandeur de
policier de la République a décidé qu’ils viendront s’installer ici, chez eux.
Non, mais on rêve. Vous imaginez la police rentrer chez vous
sans frapper et vous imposer des sans-abri qui vivent à côté en vous reprochant
de les laisser mourir de froid.
C’est exactement ce que fait la police. Alors que l’Etat à
l’obligation d’héberger les personnes sans-abri en vertu de l’article L345-2-2
du code de l’action sociale et des familles, ses représentants obligent
d’autres pauvres à les héberger dans des conditions pires encore.
Les familles baissent la tête. Quelques personnes essayent
d’expliquer qu’il n’y a plus de places libres. Le policier qui a bien préparé
son coup leur réplique : « il iront dans le hangar».
Le hangar est une annexe inoccupée des bâtiments squattés par
les familles déjà présentes. C’est une vaste salle de plusieurs centaines de
mètres carrés dont l’extrémité sert de toilettes et de poubelles. Personne
n’était venu s’y installer avant que la police n’ordonne aux familles de s’y
mettre et de construire leurs cabanes à l’intérieur. Et pour cause. Avec les
températures actuelles, tout le monde a besoin d’un minimum de chauffage; mais
ici, la moindre fumée transforme le hangar en véritable chambre à gaz. L’odeur
acre de la fumée imprègne immédiatement les vêtements et prend rapidement à la
gorge. Après quelques minutes, la langue picote et les yeux pleurent.
La version policière, elle, est un vrai conte de fées. Les
familles du périphérique ont devancé la décision de justice et sont parties
sans que personne ne les y oblige. Les habitants du squat, la main sur le cœur,
les ont accueillies à bras ouverts. Les policiers, ne supportant plus la
politique du chiffre et les injustices qu’on les oblige à infliger aux Roms, se
sont transformées en anges gardiens et ont décidé d’accompagner les Roms pour
les protéger. Depuis, ils passent régulièrement et c'est tout juste s'ils ne
viennent pas les border le soir. Elle est pas belle la vie ?
Un précédent consigné dans un rapport de police
Ce n’est pas la première fois que la police, sur ordre de la
préfecture, joue ainsi au Lego avec les familles Roms et les entasse les unes
sur les autres au mépris de leur sécurité. Une façon de les regrouper, de les
parquer, de mieux les contrôler.
Le 28 août 2012 environ 150 Roms qui viennent d’être
expulsés du campement de Saint-Priest sont accompagnés par la police dans un
autre campement, celui de Saint-Fons. Saint-Carenco, le Préfet du Rhône veille
particulièrement sur les Roms ce jour là, à sa manière.
Craignant l’arrivée de nouveaux occupants, la police
municipale est sur place et bloque l’accès. Un rapport de police
rapporte les événements. Ils sont pour le moins surprenants.
Dans un premier temps, la police municipale tombe sur des
policiers qui parlent un peu trop:
« Nous prenons
contact avec les équipages de police nationale. Ils ont reçu pour instruction
d’accompagner les Roms expulsés…, ils nous parlent d’un arrêté préfectoral,
ensuite d’une décision préfectorale autorisant l’installation des Roms qu’ils
escortaient par mesure de sécurité… ».
Hallucinant. Voilà que le préfet réquisitionne un terrain
pour y installer un campement insalubre…
Rapidement, un officier va donner la version officielle,
plus politiquement correcte. Il n’y a pas d’ordre d’installer les familles à
cet endroit, seulement de les accompagner:
« A 14h37,
arrivée du Capitaine P. Il nous informe qu’il n’y a pas d’arrêté ni de décision
préfectorale mais qu’il s’agit d’instructions de la Préfecture de ne pas
utiliser la coercition et de les laisser s’installer.»
Sauf qu’un peu plus haut dans le rapport, on peut
lire : « Nous constatons
l’arrivée d’un troisième convoi accompagné de plusieurs équipages de Police
Nationale dont un véhicule en tête de convoi. »
La police a donc bien reçu des ordres pour transférer d’un
camp à un autre plus de 150 personnes et les conduire à cet endroit. C’est sans
doute ce que le préfet appelle du relogement. Décidément, on a du mal à tout
comprendre avec le vocabulaire socialiste.
Une technique déjà éprouvée pour expulser plus rapidement
Dans quelques jours ou quelques semaines, la préfecture ne
manquera pas de souligner les conditions de vie abominables des familles. Elle
dira que les gens sont entassés les uns sur les autres et que cela pose des
problèmes de sécurité, qu’il n’y a ni eau ni électricité, que les immondices
s’accumulent. Elle dira qu’en France, il est insupportable que des personnes
vivent dans de telles conditions de misère.
Et puis les mêmes policiers qui ont forcé les familles à
venir vivre ici et qui ont eux-mêmes créé les conditions d’une expulsion
viendront avec grand plaisir jeter toutes les familles à la rue, y compris les
enfants pieds-nus qu’ils disaient vouloir protéger.
C’est sournois, c’est hypocrite, c’est vicieux, bref, en un
mot, c’est socialiste. C’est une violation des traités européens et
internationaux, c’est une violation de la circulaire inter-ministérielle du 26
août 2012 signée par Valls lui-même, c’est une preuve de plus de la politique
raciste et discriminatoire à l’encontre de la plus grande minorité ethnique
d’Europe.
Le 30 novembre, à l’appel de nombreuses organisations et de
partis politiques, dont le parti socialiste, des rassemblements vont avoir lieu
dans toute la France pour dénoncer le racisme.
On aimerait que le racisme du gouvernement socialiste qui
expulse, pourchasse, traque et maintenant entasse des familles entières dans
des lieux dangereux soit aussi dénoncé.
Comment peut-on s’offusquer du racisme contre madame Taubira
et dans le même temps approuver celui de monsieur Valls qui est poursuivi pour
incitation à la haine raciale contre les Roms ? Il y a quelque chose qui
m’échappe.